Vol de nuit

Jeudi matin 7h00: j'ouvre les volets et je scrute le ciel de ma banlieue ouest. Bleu, humide, quelques traînées nuageuses parsèment l'azur matinal.
7h30: je sors de la douche. Juste au-dessus de moi, le Vélux de la salle de bain, écran cathodique qui ne diffuse qu'une seule chaîne: les images du plus beau bureau du monde, une sorte de Discovery channel avec toujours le même reportage !
Tous les matins, le même cérémonial se répète, je ne peux m'empêcher de lever la tête, de scruter l'infini et de me dire, si seulement....

Chaque matin, ainsi, je rêve.
Au-dessus de ma tête embrumée, les lignes blanches des liners en croisière dessinent sur l'infini des figures géométriques. Lorsque j'ai le temps, je pousse le vice, j'allume ma radio portative et j'écoute Roissy approche, Roissy tour...
Mais aujourd'hui est un jour différent ! Je ne rêve pas ! Je suis dans le présent, le vrai et ce soir, j'y serai.
Ce 22 novembre marque le début de saison de mes trop rares vols de nuit hivernaux.
8h30: j'enfourche ma moto vers une petite matinée de travail, la fleur au fusil et l'humeur légère. Dans 8 heures, je serai sur le tarmac à Toussus.
Paris vit encore à l'heure des grèves et la circulation terrienne demeure chaotique. Là haut, tout n'est que calme, froid, et sérénité...
12h56: le périphérique est fluide et chaque tour de roue me rapproche un peu plus de Toussus. Le ciel est clair et limpide sur Paris, seuls quelques cirrus viennent troubler le tableau. J'en profite pour saluer respectueusement le Mirage III de la cité de l'Air à Balard.
A l'ouest néanmoins, les conditions semblent se dégrader lentement, dame météo aurait-elle prévu de nous jouer les tours dont elle a le secret ?
16h30: j'arrive à Toussus. Le ciel s'est effectivement obscurci et chargé d'humidité. Le plafond a nettement diminué et plusieurs couches successives se sont formées. Le vol en VFR est compromis. Qu'importe, l'avion, l'instructeur et le terrain de destination sont IFR, et les conditions ne sont pas suffisamment dégradées pour remettre en cause notre vol.
Je foule enfin le tarmac de Toussus. Je ressens toujours la même sensation, une indescriptible impression de franchir une porte, et de pénétrer dans un monde parallèle.
Malgré le son des moteurs, c'est une impression de calme qui règne. Tout est précis et ordonné. Le ballet des avions et des véhicules de carburant, le camion rouge des pompiers qui éffarouchent les volatiles...
J'appelle Yves notre instructeur, il est à la tour, en train de se démêler avec les plans de vols successifs ! Annuler le VFR, repasser l'IFR, modifier le trajet pour revenir par le sud et profiter à nouveau de la splendide arrivée IFR en 25.
Entre temps, tout le monde est arrivé. Christian, avec qui je partagerai ce vol, Michel, "sac de sable" du jour et photographe, et surtout F-ZN.
En attendant le retour du "patron", Christian qui fera l'aller effectue sa prévol.

Le camion d'essence abreuve ZN de 70 litres complémentaires. A 4, il n'est pas question de faire les pleins complets. Le trajet total devrait représenter 2 heures 30 de vol, soit une consommation d'environ 150 litres.

Derniers préparatifs avant le départ, nous étudions une dernière fois les plans de vol qu'Yves vient de déposer. Départ, route, approche à Reims...

La clairance nous est donnée, Christian met en route et roule vers le point d'arrêt 25 droite.
Nous décollons à la nuit, après avoir laissé passer et admiré les lucioles mécaniques. Blanc, bleu, vert, les couleurs s'enchevêtrent dans l'ombre autour de nous.

Puissance, rotation à 70 kts, puis montée initiale à 100 kts dans l'axe vers 3000 pieds.
" Fais Ton Métier Pour Vivre Entier": Freins, Train, Moteur 25 pouces à l'admission, Pas 2500 tours, Volets rentrés à 300 pieds et 80 kts, Essence, pompe sur off.
Le contrôle de Toussus nous donne un cap à droite au 340, puis le départ corrige et virage à gauche au 180... Le passage par le nord de Paris semble être remis en question !
Après quelques minutes vers le sud, cap à l'est sur le VOR de Melun, et montée au FL50. Nous avons déjà traversé plusieurs couches nuageuses. Les lumières de la capitale filtrent à travers les brumes du couchant. Nous passons travers sud Brétigny, puis Orly.
Passé MLN, Seine nous envoie vers Arsil, intersection située au nord de Troyes. Nous survolons la centrale de Bray sur Seine et son panache vaporeux.
ZN file à 160 kts dans le calme de la nuit.

La lune, haut dans l'axe nous montre le chemin, telle un phare guidant les navires.
Sans attendre Arsil, le contrôle nous donne un cap nord direction Reims. L'approche IFR de Reims est très particulière, mais surtout très chronophage compte tenu de son tracé pour le moins pittoresque ! Dans ces conditions, Yves demande l'annulation du plan de vol IFR afin de basculer sur une approche VFRn, beaucoup plus directe.
L'horaire de fermeture de Toussus nous oblige toujours à courir après la montre.
Nous passons avec Reims contrôle pour les informer de notre position et de nos intentions, puis commençons à descendre pour rejoindre la vent arrière 25 de Reims Prunay.
3 pressions sur la pédale d'alternat pour allumer la rampe et de suite tombe la question habituelle: "elle est où la piste ?", elle devrait être là, dans nos 2 heures. Cette fois, seules quelques secondes seront nécessaires pour identifier le ruban lumineux.
La vue est magnifique, les lumières de la cité champenoise brillent de mille feux sous notre aile gauche.

Christian prépare la machine, et nous voici déjà établis en finale à 80 kts. "Tu Peux Voler": Train, Pas, Volets. Arrondi et toucher en douceur.
La plateforme est déserte, nous roulons jusqu'au restaurant L'Escale, accessible en seulement quelques pas.
Comme presque toujours, "white wolf" Yves retrouve des connaissances, le milieu est petit !

Nous nous régalons d'un repas sympathique et convivial où nous évoquons le pilotage VFR par rapport à l'IFR, les traitements journalistico-sensationnels de notre industrie aéronautique, le récent problème de l'... A... à T..., oups, pardon Yves, nous n'en parlerons plus sans savoir, promis !
Le plan de vol retour est déposé pour 19h45 UTC, il est temps de prendre congé des lieux après notre "café gourmand".

Une fois installé aux commandes, je déroule les check-lists, puis roule pour le point d'arrêt 07. Le vent est nul et une fine brume s'est installée, enveloppant d'un voile discret la plateforme.
Aligné 07, puissance sur freins, la piste est en légère montée. Je libère les 250 CV du TB20 qui nous propulsent dans l'immensité assombrie. Un virage par la droite pour rejoindre le sud, le temps de contacter le contrôle afin d'activer notre plan de vol.
Notre trajet est confirmé: Dikol, Vatry, Troyes, Melun puis Toussus, le tout au niveau 60.
Malgré la nuit, nous constatons que la Champagne s'est considérablement embrumée, de grandes plaques de brouillard masquent le sol. La visibilité nocturne est toujours surprenante pour le hibou occasionnel que je suis. Les villes parsèment l'obscurité de surfaces lumineuses orangées, qui offrent de remarquables repères visuels.
Stables au niveau 60, nous demandons au contrôle un direct MLN. "descendez au niveau 50, patientez quelques minutes et je vous confirme la directe" nous répond le contrôleur. Un avion est en approche pour Vatry, nous devons patienter.
Les minutes passent, nous avons déjà laissé Vatry sur notre gauche depuis un moment, et les lumières de Troyes sont juste devant nous lorsque nous avons notre autorisation "direct MLN".
Nous traversons à nouveau le panache "nucléaire" de la centrale de Bray, espérant ne pas finir irradiés, nous sommes déjà suffisament attaqués par notre passion dévorante !
Tandis que la couche se fait de plus en plus dense, Vatry nous transfert sur l'approche d'Orly qui va prendre en charge notre arrivée, jusqu'à intercepter l'ILS 25 de Toussus.
"F-ZN tournez à droite au 340". Le contrôle d'Orly va ainsi nous amener de 10° en 10° par la gauche jusqu'à intercepter le localizer.

Nous sommes dorénavant totalement dans la couche et les nuages qui défilent sur le pare-brise perturbent mes sens. Je coupe le projecteur et reste les yeux rivés sur les instruments pour suivre les consignes du contrôle. "F-ZN à gauche au 330". Alors que je me concentre sur la tenue de l'altitude et du cap, la radio égrène des "Air-France xxx" ou "Aigle Azur yyy", réduisez 250 kts". Nous n'avons pas l'habitude de partager la même fréquence que les pilotes de "plus beaux bureaux du monde" !
Entre deux messages, le contrôleur nous glisse: "Vous avez eu la météo de Toussus ? parcequ'il y a quelques minutes, ils annonçaient 350 mètres de visi...".
"Euh, nous avons pris la météo avant de quitter Reims, ça passait sans problème".
"Très bien, quittez la fréquence quelques instants le temps d'appeler Toussus".
"Toussus de F-ZN, vous pouvez nous confirmer la météo svp ?".
"visi supérieure à 10 kms, mais j'ai passé entre 350 et 1000 mètres il y a peu de temps. Des couches basses vont et viennent sur le terrain".
Nous espérons que les conditions se maintiendront en l'état, sinon c'est Melun, ou Orly ! Pas très pratique dans ces conditions de rejoindre nos véhicules à Toussus !
Il faudra attendre d'arriver au-dessus du périphérique pour qu'enfin le rideau se lève. Le spectacle est grandiose ! Quelle mise en scène, les éclairages sont superbes ! J'irai bien tous les jours au théâtre dans ces conditions...

Nous faisons route au 270, et descendons vers 3000 pieds en attendant la rentrée du loc.
A gauche, Orly. En dessous, le périphérique et le stade Charléty. A droite, Paris dans toute sa majesté, dominée par la tour Eiffel.
Je devine Michel à l'arrière qui se contorsionne pour prendre un maximum de clichés, je perçois sa jubilation de "lécheur" de hublots, lui qui est sans doute parmi les cockpistonnés les plus assidus !
Déjà, droit devant, nous distinguons très clairement l'éclairage haute intensité de Toussus. Comment les conditions ont-elles pu être dégradées, alors que devant, c'est d'une totale clarté ???
Arrivés à 7,4 NM, nous commencons notre descente en suivant le glide.
Avant d'arriver en finale, le contrôleur nous diminue progressivement l'intensité de l'éclairage.
"Tout va bien pour l'instant nous demande-t-il ?"

"Méfiez-vous car le précédent appareil a eu des difficultés à l"arrondi, il y a une très fine couche de brouillard que l'on ne voit qu'au dernier moment et qui fausse l'estimation de la hauteur pour arrondir".
"Merci pour l'info mais pour l'instant, c'est parfaitement clair".
2 rouges, 2 blanches, 80 kts en courte, nous nous préparons néanmoins à une remise de gaz si nécessaire.
Le seuil de piste est franchi, encore quelques mètres et... SCHKLONG !
Il n'y a avait plus d'eau sous la quille, je comprends vite les difficultés évoquées par le contrôleur.
F-ZN a touché de tout son poids avant de rebondir.
"C'est un véritable appontage que tu viens de nous faire " me dit Yves.
Je ne me sens pas très fier de la situation, je pensais qu'il me restait 2 ou 3 mètres lorsque nous avons touché.
"C'est le métier qui rentre" ! Certes, mais quand même, j'aurai préféré un retour sur le plancher des vaches un peu moins violent !
Le roulage vers le parking fut limite délicat. Effectivement, une fois au sol, la visibilité est devenue très réduite et il a fallu coller "le nez au carreau" pour suivre la ligne jaune jusqu'au hangar.

L'ambiance sur le tarmac est irréelle, l'atmosphère est silencieuse, humide, brumeuse. Les rares éclairages dessinent des halos lumineux que Michel s'empresse de mettre dans la boite.
Une fois de plus, nous nous sommes régalés de cette escapade nocturne.
Comme le disait Ballavoine:

" Dieu que c'est beau !".

Et merci à Michel pour ses superbes photographies, témoins visuels indispensables des ces instants magiques !

Plongée dans un monde parallèle

J'ai profité de ces vacances de la Toussaint pour m'adonner à une de mes autres passions: la plongée sous-marine.
Au fil de la semaine que je viens de passer en Mer Rouge, j'ai pu me rendre compte à quel point ces deux disciplines, l'aviation et la plongée pouvaient être similaires.
C'est donc un message pas franchement aéro que je poste aujourd'hui, mais ce "lien de parenté" me semblait valoir la peine d'être abordé.
Tout d'abord, le premier point commun, celui qui saute aux yeux, c'est que chacune des deux disciplines se situe d'un côté de la terre ferme, ou du moins de notre niveau habituel et connu d'activité !
L'aviation au-dessus, la plongée au-dessous. De là à en conclure que je n'ai pas les pieds sur terre ? Peut-être...
Par ailleurs, l'élément extérieur est du même type, fluide. L'air en haut, l'eau en bas. Dans un cas, on parle de portance, dans l'autre de flottabilité.
Enfin, dans les deux cas, la technique, le matériel et la sécurité sont des points essentiels de la pratique.
La meilleure approche de comparaison me semble être de dérouler les phases du vol, et de voir dans quelle mesure on peut retrouver le même type de processus dans le cadre d'une plongée.

1/ Les facteurs humains:
On ne vole pas si l'on est pas certain de son état général et de ses capacités physiques. C'est strictement la même chose en plongée. La fatigue, le stress, et plus généralement un état général dégradé ne sont pas propices à une pratique sereine. Comme en avion, il est préférable de savoir renoncer.
Comme en avion également, il y a toujours cette petite appréhension de se lancer dans un environnement qui n'est pas le sien, mais ce point est plutôt positif, grisant et stimulant.
2/ La nav:
Au même titre qu'un vol, une plongée se prépare via un plan de plongée. Combien de plongées successives, à quelle profondeur, pendant combien de temps ?
2/ La visite prévol:
On ne plonge pas sans avoir au préalable soigneusement vérifié son matériel.
L'air en priorité, l' équivalent du carburant. On parle d'ailleurs içi de "panne d'air", comme d'une panne de carburant.
Quel carburant utilise-t-on ? De l'air normal, ou bien enrichi en oxygène ?
Le détendeur, pièce maitresse du dispositif. C'est lui qui alimente le plongeur en air. Il est un peu le moteur de l'avion. Les pannes ont le même effet, atterrissage en campagne d'un côté, remontée en surface de l'autre.
Au même titre qu'en avion, les pressions sont à la base de toutes les mesures.
Le manomètre pour l'air, exprimé en bars, donc en nombre d'atmosphères. On plonge en général avec près de 200 bars dans la bouteille, ce qui permet en moyenne de passer 45 minutes sous l'eau.
Le profondimètre est l'équivalent de notre altimètre. Pour information, la pression augmente d'un bar tous les 10 mètres d'eau. En règle général, on utilise un ordinateur de plongée pour gérer ces différents paramètres, un peu comme on utilise un GPS en vol.
3/ L'équipage et les passagers:
On ne plonge jamais seul, auquel cas l'accident risquerait d'être fatal.
Il faut par conséquent parfaitement se coordonner avec son binôme, sauf qu'en plongée, les deux sont en fonction ! Il s'agit dès lors de bien se mettre d'accord sur les modalités de la plongée, conformément au plan initial, et de se rappeler les consignes de comportement et de sécurité.
4/ Le roulage au point d'arrêt et le décollage:
Une fois équipé, on se rend sur la plateforme de mise à l'eau, le "point d'arrêt". C'est ici que l'on fait les dernières vérifications, checklists avant mise à l'eau. Le robinet de la bouteille est il bien ouvert ? L'équipement est-il complet et correctement positionné ?
Une fois ces vérifications effectuées, la clairance est donnée, on s'aligne, et on se lance d'un pas de géant dans le grand bleu !
5/ La montée:
Ici aussi, on vérifie la vitesse, mais de descente. Les oreilles jouent le rôle de variomètre. Les premiers 10 mètres sont les plus délicats, puisque l'on double la pression très rapidement. On cherche donc à conserver une vitesse de descente conforme à nos paramètres physiologiques. Il arrive parfois que les oreilles refusent de "passer", dans ce cas, une seule solution, remonter légèrement, essayer à nouveau et si malgré cela, la pression aux tympans ne s'adapte pas, on annule le vol, pardon, la plongée !
6/ La croisière:
Une fois arrivé à la profondeur planifiée, on va stabiliser les paramètres. Le gilet stabilisateur fait office de trim. En réglant précisemment la quantité d'air dans ce dernier, on va obtenir une flottabilité neutre, qui permettra ainsi de tenir la profondeur sans effort.
Les paramètres sont également checkés régulièrement, profondeur, quantité d'air restante. Il s' agit ici de l'équivalent de notre circuit visuel.
Il est également important de surveiller son binôme. En effet, lors de plongées dites profondes, la narcose peut être (de loin) comparée à l'hypoxie, générant des comportements inhabituels et potentiellement dangereux.
Cela étant, comme en avion, c'est la phase où l'on prend le temps d'admirer le paysage, où l'on profite pleinement des sensations.
7/ La descente:
On prépare la remontée comme on prépare la descente. On va faire une nouvelle check avant remontée. Sommes-nous bien à l'endroit prévu ? Faut-il se signaler en surface ?
Enfin, on va afficher les bons paramètres. Il s'agit essentiellement de bien maitriser sa vitesse ascensionnelle cette fois, maximum 18 mètres par minutes, avec pour la plongée loisir un palier de sécurité de 3 minutes à 5 mètres.
8/ L' atterrissage:
Une fois le palier de sécurité effectué, il est temps désormais de retrouver la surface. Ici pas de problème de vent de travers, mais parfois de houle, qui peut rendre périlleuse la remontée à l'échelle. On soigne son accrochage, comme on soigne son arrondi.
9/ Le matériel:
Après chaque vol, on nettoie son avion, après chaque plongée, on prend soin également de son matériel. Rincé à l'eau douce, et correctement rangé.

La gestion d'une plongée est réellement très proche de la gestion d'un vol.
Il serait d'ailleurs intéressant d'identifier le nombre de pilotes plongeurs !
J'espère que cette analyse comparative vous aura donné envie d'aller tester "l'autre élément". Les sensations y sont du même ordre, grisantes et intenses.
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